Le Maroc avait déjà connu près de deux décennies de répression lorsque Fatna El Bouih a été arrêtée en 1977.
Cette période est connue comme les « Années de plomb », sous le règne du Roi Hassan II. Les dissidents ont été arrêtés, torturés et exécutés, les journaux fermés et les livres interdits. Des milliers de personnes ont été victimes de disparitions forcées dans d’atroces centres de détention et de torture.
Après sa libération, cinq ans plus tard, Fatna El Bouih est restée silencieuse pendant un certain temps, « [[but]] je me suis très vite rendu compte que je ne pouvais pas rester silencieuse et inactive », explique-t-elle.
« J’ai démarré mon action militante au sein de nouvelles structures qui ont vu le jour et ont commencé à se développer… alors que se dessinait la perspective d’une nouvelle ère, la possibilité d’un changement. »
Dans les années 1990, le Maroc a commencé à dresser le bilan de ce qui s’était passé.
« Les prisonniers politiques ont bénéficié d’une amnistie, certains centres de détention et de torture ont été fermés, et de nouvelles structures de défense des droits humains ont été créées », se souvient Fatna El Bouih. « Un grand mouvement des droits humains a vu le jour. C’était le résultat direct de la lutte des militants qui étaient derrière les barreaux et n’ont jamais arrêté leur combat. »
Fatna El Bouih s’est engagée dans le mouvement de la société civile, en rejoignant l’Association Justice et Vérité pour les victimes des violations perpétrées pendant les Années de plomb, puis en co-fondantl’Association Relais Prison- Société en en novembre 1999. L’égalité des sexes est également devenue un élément essentiel du militantisme de Fatna El Bouih. Elle a été l’une des fondatrices de l’un des premiers centres de conseil pour les femmes victimes de violence domestique au Maroc, et a aussi créé l’Association d’aide aux femmes en détresse. (association d’aide aux femmes en détresse).
Pour Fatna El Bouih, un des enseignements déterminants à tirer de l’expérience marocaine est que « l’obtention de droits particuliers ne signifie pas que ces droits doivent être considérés comme acquis ».
« C’est une lutte sans fin pour préserver ces acquis, parce que ‘l’ennemi’ – la dictature – attend toujours au coin de la rue, prêt à tout moment à saboter tous vos acquis. Il est donc important de rester vigilant… pour protéger et préserver les droits pour lesquels nous nous sommes battus et que nous avons obtenus. »
« Je me dis que je peux pardonner à ceux qui m’ont torturée, à ceux qui m’ont détenue, à ceux qui ont perpétré des crimes atroces contre moi. Je peux même pardonner à l’État. Mais je veux garantir que mes filles ne connaîtront pas le même sort que moi. »
Elle se souvient qu’à l’époque sombre des Années de plomb au Maroc, la coordination avec le monde extérieur a été déterminante pour faire pression sur la monarchie au pouvoir afin qu’elle réforme ses pratiques répressives.
« Face à tant de restrictions, tant de répression, c’est grâce au monde extérieur que nous avons vraiment pu faire entendre notre voix. »
Pour cette raison, Fatna El Bouih pense que le réseau INOVAS peut servir d’espace sécurisé pour les victimes et les survivants, ainsi que pour celles et ceux qui luttent pour un plus grand respect des droits dans le monde entier.
« Il s’agit d’un espace sûr pour les victimes et les survivants, où ces derniers peuvent réfléchir ensemble en toute liberté et en sécurité et partager leurs expériences. Cela nous donne, en tant que victimes et survivants, le dynamisme et la sécurité nécessaires pour poursuivre la lutte et nous soutenir les uns les autres. »